Les véhicules Berliet
Avant la Seconde guerre mondiale, le marché français des véhicules d’incendie est quasiment partagé entre deux fournisseurs, Delahaye et Laffly. Mais de nombreux fabricants d’équipements incendie montent aussi leur matériel sur les châssis existants. Berliet se lance dès le début du siècle (premier camion incendie en 1907), mais durant l’entre-deux-guerres se limite pratiquement à la vente de châssis à des équipementiers comme, le plus important, Guinard. Cependant, en 1952, Laffly cesse ses activités et Berliet crée un département spécialisé à Courbevoie en recrutant les ingénieurs et techniciens ex Laffly. Berliet propose dès lors des engins d’incendie complets. L’activité est transférée à Bourg en Bresse en 1965. En décembre 1970, la société Guinard Incendie est rachetée par Berliet, son principal concurrent, qui crée CAMIVA (Constructeurs Associés de Matériels d’Incendie, Voirie et Aviation) sur l’ancien site de Guinard à Saint Alban Leysse (73).
Le musée de Lyon dispose d’une collection exceptionnelle de véhicules Berliet, de plus d’une trentaine d’engins, des origines à la disparition de la marque en 1980, bien que les Berliet continuent leurs carrières de longues années après sous la marque au losange.
Honneur aux anciens
En 1907, la motorisation du bataillon de Lyon est actée. Deux ans après, Berliet livre son premier véhicule, une autopompe de type CAK dotée d’une pompe Drouville qui sera revendue dix ans plus tard. Le CAK sera finalement récupéré par Berliet, puis offert au musée. Il représente un pas de géant dans l’efficacité opérationnelle grâce à sa vitesse (40 km/h) et à ses capacités (13 sapeurs, pompe de 1100 l/mn). Son état parfait en fait une pièce remarquable, très rare et historique puisque ce fut le premier engin à moteur du Corps de Lyon. De plus, en service à Vienne après 1919, il terminera sa vie opérationnelle à Frontenas en… 1959, soit 50 ans de carrière !
Un second Berliet « hors normes » est à citer : le fourgon pompe CBA, livré à l’été 1919 et resté en service jusqu’en 1951. Mais c’est surtout sa restauration qui est notable, car elle démontre l’extrême savoir-faire des bénévoles du musée en ce début de 21e siècle.
Jusqu’en 1933, le véhicule, dans son état d’origine, part régulièrement en intervention sur les feux de l’agglomération, puis il est modernisé (électricité, dynamo et démarreur).
Trois ans après, des pneumatiques sont montés. En 1938, la pose d’une nouvelle pompe, le remplacement du moteur par un autre plus puissant, et d’autres améliorations sont effectués.
Après sa réforme, il est revendu et revient au musée en 1995 où il est entreposé dans des conditions qui vont en faire une quasi épave. Le musée des sapeurs-pompiers étant musée de France, la restauration se fera dans les conditions les plus strictes des règles de l’Art. Plus de quatre ans après, le CBA ressemble à un véhicule neuf, il a été restauré dans sa configuration de réforme.
Ce travail de restauration exceptionnel va être remarqué et honoré par l’Association Patrimoine Aurhalpin qui lui remet le prix « Sauvegarde du Patrimoine » en 2016 et par la ville de Lyon qui lui décerne son prix « Citoyens du Patrimoine » en 2019. Ce prix récompense des initiatives originales de particuliers ou d’associations au service du patrimoine lyonnais.
Les photos se passent de commentaires sur la qualité du travail et la haute technicité des bénévoles du musée.
Des engins uniques au monde
Dans la collection du musée, certains engins méritent une attention particulière, comme ceux qui n’ont existé qu’en un seul exemplaire. Deux exemples parmi les Berliet : les camions-grues GPD et TBO 15M.
Le Berliet GPD, désigné « Tracteur 34 » est l’une des pièces maîtresses du musée. Il est entré en service en 1937, à une époque où les pompiers intervenaient fréquemment sur la voie publique pour des opérations de halage ou/et de dégagement (chevaux, tramways, véhicules, etc.).
Il a été développé en commun entre le constructeur et l’état-major du bataillon lyonnais. C’est donc un fourgon de protection et de sauvetage, carrossé par Agathon qui reste le seul de son genre. La grue a une capacité de 7 tonnes, il a un cabestan avec un dévidoir 60 m de cordage. Il est réformé en 1974.
Le TBO 15 a été développé pour le département des Yvelines (Seine & Oise jusqu’en 1967). Le choix d’un châssis de tracteur plutôt que de camion a permis d’avoir une longueur adaptée au besoin sans intervention sur la structure du véhicule. Capable de lever 15 tonnes, il dispose d’un moteur de 240 chevaux.
L’ensemble de levage est fourni par l’Allemand Magirus (fournisseur des échelles montées sur les Berliet) qui en équipera de nombreux engins de secours dans son pays. Mis en service à Versailles en 1959, dix ans après il est à Rambouillet avant d’être réformé en 1990. Comme le GPD, ce camion-grue est doté des équipements nécessaires à sa stabilisation en opération.
Des Berliet précurseurs
Le Camion Citerne Feux de Forêt Léger GLB 19R 4×4 est la nouveauté de son époque pour les véhicules d’incendie français. Berliet développe, avec le spécialiste Herwaythorn (français malgré son nom)une version 4×4 de son GLB avec moteur essence, qui est homologué en 1954. Avec sa citerne de 3000 litres et sa pompe de 60 m3/h, il transporte huit sapeurs. Livré en 1959 à Hauteville Lompes (Ain), il est réformé en 1987, mais continue sa carrière au sein de l’entreprise Solvay qui le conserve jusqu’en 2000. Au milieu des années 1950, les sapeurs-pompiers français sont équipés de matériels des surplus américains pour lutter contre les feux de forêt. Cet engin est le premier 4×4 moderne purement français d’après-guerre dans ce domaine. Il a donc une valeur historique indéniable. Deux exemplaires de son successeur, le GBK 18 sont aussi présents au musée, l’un provient d’Aurillac, l’autre de Saint Laurent de Mure. Ils datent de 1965.
Le premier type d’engin normalisé des sapeurs-pompiers français, en 1947, est le fourgon d’incendie normalisé (FIN). Immédiatement, malgré la concurrence (Laffly, Delahaye, Ford SAF) Berliet se base alors sur la mécanique du GLA présenté au salon de 1949. Le FIN est le véhicule symbolisant la reconstruction du parc des pompiers après la guerre. Il doit tracter une motopompe de 60 m3/h, mais ne transporte pas d’eau. La liste du matériel qu’il emporte est décrite avec précision, notamment une motopompe portative de 30 m3/h et 3 lances utilisables à 300 m d’un point d’eau. Sa capacité est de onze sapeurs. Celui du musée était à Sainte Foy-Lès-Lyon, acheté en 1953 à la formation de la communauté urbaine (1969) il est intégré au parc opérationnel et sera réformé en 1980. Sa motopompe portative, dans le fourgon, est une Maheu-Labrosse, un équipementier lyonnais.
Berliet Incendie : tous types d’engins
Le département Berliet Incendie puis de 1971 à 1980 la société Camiva, qui appartient Berliet, vont produire pratiquement tous les types de véhicules d’incendie utilisés en France, à commencer par l’engin mythique des sapeurs-pompiers : l’échelle.
Si, en 1953, Berliet passe un contrat d’exclusivité pour les échelles de 30 et 45 mètres avec le fabricant d’échelles allemand Magirus, en 1966, c’est sur un GAK 16 que Berliet installe une échelle Gugumus de 24 mètres (ce qui en fait le premier engin échelle 100% français). Le musée en possède un exemplaire (ex. Charlieu, Loire). De nombreuses échelles, de 24 à 45 mètres, sont également visibles sur châssis Berliet (GLC ou GAK).Bien entendu, la marque procure également tous les types d’engins classiques, comme les fourgons-pompes, camions-citernes, fourgons à grande puissance qui sont tous présents dans la très riche collection du musée.
Pour tout ces types d’engins, et afin d’atteindre le meilleur des standards du moment, le bureau d’études crée une cabine de base tout acier montée d’abord sur les GAK. Elle est destinée à remplacer toute la gamme de cabines du GLA au GLR. De nouveaux matériaux, plus sûrs, comme le pare-brise en lux-rit de St-Gobain, moins dangereux en cas de bris, la compacité de la structure plus résistante, l’intérieur insonorisé, climatisé et avec un tableau de bord plus ergonomique diminuent la fatigue du conducteur. Baptisée cabine « Relaxe », elle est présentée au Salon de l’Auto 1958 où elle fait sensation. Outre des GAK (dont une version 4×4, FPTHR ex Savoie), le musée possède aussi son successeur, le FPT Berliet 770 K. Ce modèle est remarquable, car, en France, avec près de 2000 engins construits, la série des Berliet 770 K va constituer le plus grand succès de la marque en matière de véhicules d’incendie. Plusieurs versions sont exposées comme le 770 KEH Camiva de 1975 ex Lyon ou le 770 KB 6 de 1979 du SDIS du Rhône.
Les véhicules feux de forêt sont aussi bien représentés au musée, en particulier le célèbre CFF 415. La collection présente un CCFM et un DA sur ce châssis. Parmi les engins « lourds » trois Berliet grande puissance qui ont marqué leurs époques, le PCK 8 des années 1950, le GLCK 10 et le GBK 18 de la décennie suivante. Les corps spécialisés comme ceux de l’Aviation civile (VMA sur GBC 34 de 1965 ex aéroport de Lyon), de l’industrie pétrolière (VMR sur GBO Sides de 1966 Rhône – Poulenc Roussillon) disposent aussi de matériels adaptés.
La fin d’une marque
Premiers secours, camions-citernes, échelles aériennes, fourgons grande puissance, la liste des modèles Berliet est encore longue. Pourtant, au milieu des années 1970, dans le cadre d’une restructuration de l’industrie automobile française, l’État impose le regroupement de la filiale poids lourds de Renault (Saviem) et de Berliet. Dans un premier temps, Berliet absorbe Saviem puis la Régie, dument recapitalisée par l’État, prend le contrôle de l’ensemble.
En 1980, la Régie Renault décide de supprimer les deux marques. La gamme Berliet porte désormais le nom de Renault Véhicules Industriels. Cependant, dans les mémoires, Berliet aura bien marqué de son empreinte le marché du véhicule d’incendie durant les Trente Glorieuses. Comme pour toute la gamme, les engins de la marque ont suivi les évolutions techniques du poids lourd durant cette période. Au début de la décennie 1980, Camiva, donc Berliet, représente 60% du marché des véhicules communaux de secours en France.
La collection du musée des sapeurs-pompiers de Lyon – Rhône permet de retracer l’histoire de la motorisation au sein de la profession. Parmi tous ses véhicules, le plateau Berliet, comme pour d’autres constructeurs français présents, donne un aperçu quasiment complet des productions de véhicules d’incendie de la marque disparue qui a été l’une des plus emblématiques de son époque.
ARTICLE PAR JP. BRASSLER