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UNE FABULEUSE SÉRIE D’ÉCHELLES À LYON

A Jacques Périer…

Dans la panoplie d’agrès nécessaires aux sapeurs-pompiers, les échelles sont la composante la plus emblématique de leurs missions et de leurs sauvetages. Mais elles sont aussi les plus complexes de leurs appareils, les plus chères à acquérir et à maintenir et, paradoxalement en regard de leur célébrité et de l’image universellement associée à la corporation, longtemps restées les plus rares des engins en dotation dans les remises des casernes de pompiers…

Encombrantes, même abaissées et reployées, et donc difficiles à réunir pour qu’elles témoignent du patrimoine des sapeurs-pompiers, les échelles sont des machines aux techniques variées et aux mécanismes élaborés, spécialement inventés pour réussir la prouesse élévatoire qui leur est demandée en toutes circonstances.

Il faut en effet aux échelles réunir des qualités difficiles à concilier sur un même engin :

  • Atteindre la hauteur des immeubles tant pour effectuer des sauvetages que pour établir des lances en dominant l’incendie,
  • Rester de masse et de longueur suffisamment réduites pour pouvoir être maniables et acheminées jusqu’au théâtre du sinistre,
  • Présenter un système de dressement et de déploiement rapide et sûr,
  • Se stabiliser avec sûreté et retrouver la verticalité même sur une voie en dévers,
  • Accepter sans casse, tant le recul du jet des lances que le vent ainsi que le mouvement et la masse des sapeurs-pompiers sur les éléments de leur parc développé et orienté…

Le tout à travers les époques de la manœuvre exclusivement à bras, de l’introduction de l’électricité, du moteur thermique et des transmissions mécaniques, des parcs en bois puis métalliques, de l’arrivée de l’hydraulique, des automatismes et des asservissements de sécurité, enfin de l’informatique en attendant la robotisation déjà en marche…

Ces équations successives, ces atteintes toujours plus hautes, ces systèmes variés mais toujours ingénieux, ces modèles remorquables, portés, pivotants, français ou importés, mécaniques ou hydrauliques, simples ou sophistiqués sont tous à Lyon ! C’est une des richesses visuelle, spectaculaire et didactique du Musée des sapeurs-pompiers de Lyon-Rhône.

Les grands noms des constructeurs d’échelles sont à Lyon

C’est d’abord Vadot, constructeur lyonnais. Spécialiste des échelles remorquables et pivotantes d’atteinte moyenne, Vadot décline une part de sa production, essentiellement destinée aux électriciens et aux acteurs de l’entretien des réseaux aériens d’éclairage, vers les sapeurs-pompiers. En regard des acquisitions récentes d’échelles de moins de 20 mètres montées sur châssis-cabines de la gamme moyenne effectuées actuellement par les sapeurs-pompiers, les productions Vadot ont simplement 50 années d’avance…

C’est ensuite Gugumus, puis Gugumus-Charton, de Nancy, mais aussi Magirus, importé dès l’entre-deux guerres par Delahaye.

Mais les pièces les plus rares et les plus remarquables par l’originalité des techniques qu’elles mettent en œuvre sont les échelles pivotantes Merryweather et Steyaert ! Anglaise pour la 1ère et belge pour la seconde, elles constituent des témoins exceptionnels de deux techniques bien spécifiques :

La tourelle Merrywether, entièrement mécanique, fait appel à deux vis sans fin, symétriques et toutes deux entraînées par le moteur du camion-support, pour dresser le parc d’échelles télescopiques. Les renvois du mouvement par engrenages sont visibles, les vis aussi, ce qui fait de la tourelle Merryweather un modèle de pédagogie ! La lourde tourelle Steyaert, de 20 ans plus récente, est électrique. Sans doute unique en France, elle illustre le règne de l’électromécanique, alternative aux chaînes du constructeur Metz et à la vis sans fin centrale propre à Magirus.

Quelques années plus tard, l’hydraulique arbitrera la situation…

L’énigmatique échelle mécanique Metz de 1939

On a longtemps considéré qu’un exemplaire de la magnifique série d’échelles pivotantes Metz de 30 mètres que Laffly a fait installer sur ses camions ABL était conservé. Ce qui est bien légitime tellement ces échelles ont marqué par leur allure, restant les dernières échelles pivotantes de 30 m avec cabine torpédo. Si Lyon a reçu la 1ère juste avant-guerre, Paris, Nice, Bordeaux, Belfort, Saint-Etienne, Marseille, Le Havre… en ont doté leurs sapeurs-pompiers.

Avec Jacques Périer, nous avions été intrigués à l’examen minutieux du parc d’échelles de celle conservée à Lyon. Nous avons longuement échangé sur la longueur réelle de ce parc, comptant et observant les armatures latérales et le nombre de leurs sections. Le doute a fini par ne plus être permis, il manque des sections pour que, développés, les quatre éléments du parc atteignent une longueur de 30 mètres. On parle bien de longueur, car, l’échelle n’étant jamais verticale, sa longueur de 30 mètres autorise une atteinte, au mieux, de 28 mètres en hauteur.

On a comparé des photos, notamment celle qui montre, dressées, la Merryweather, la Magirus-Delahaye et la Metz-Laffly côte à côte, c’était bien une « 30 mètres » !

Mais, c’était il y a longtemps, peu après sa livraison.

A l’inverse, celle conservée a manifestement un parc plus court. Et Frédéric Pizzinato a résolu l’énigme, trouvant le compte-rendu tant de la chute du parc d’origine en 1969, au cours d’une manœuvre démonstrative, que de la décision de remplacer le parc irréparable par un parc d’occasion, mais de 26 mètres seulement !

Résultat, le patrimoine des sapeurs-pompiers de France et les échelles conservées présentent une lacune nouvelle, qu’il va falloir combler en… trouvant une « 30 m Metz-Laffly » à sauver quelque part !

Tous les systèmes pour dresser les parcs

Le musée des sapeurs-pompiers de Lyon-Rhône possède une « panoplie » sans égale d’échelles remorquables, portées et pivotantes illustrant tout ce que l’ingéniosité humaine a pu imaginer, concevoir puis réaliser en matière de dispositifs de dressage des parcs d’échelles télescopiques :

  • Chaînes guidées sur secteurs demi-circulaires, système Metz,
  • Vérin mécanique à vis de traction axiale, système Magirus,
  • Vérins mécaniques doubles symétriques, système Merryweather,
  • Vérin central mécanique en tourelle électrique, système Steyaert,
  • Tresses de traction avec treuil manuel, système Gugumus,
  • Câbles simples de traction, système Gugumus-Charton,
  • Crémaillère d’appui et de sécurité, système Vadot.
  • Vérins hydrauliques et automatisme, système Magirus,
  • Architecture surbaissée, système Magirus…

Quant à l’animation de ces tourelles et chariots, la force des bras, l’électricité,  le moteur thermique et les transmissions hydrauliques sont représentés. Pour les camions-porteurs, les grands noms s’affichent : Delahaye, Berliet, Laffly mais aussi Matford, alliance sans doute impossible entre Emile Mathis le petit mais valeureux français et Henry Ford l’immense américain.

Cette même richesse concerne aussi les techniques appliquées à l’indispensable besoin de compenser le dévers du sol. Lorsque la rue est en pente et qu’on dresse l’échelle face à un bâtiment riverain, le parc se présente perpendiculairement au terrain et donc… penche vers l’aval !

Pour que l’échelle soit opérationnelle dans de telles conditions et éviter sa chute ou sa rupture, force est alors de compenser ce dévers. Dès le 19ème siècle, tous les constructeurs de moyens élévateurs ont rivalisé d’imagination pour, mécaniquement, redresser leur matériel et remettre le parc à la verticale. Les deux familles de solutions qui se sont longtemps partagé ce domaine sont à Lyon :

  • L’articulation de l’essieu par réglage de son parallélisme relatif par rapport au chariot,
  • Et le réglage de l’orientation du parc par rapport au berceau pour les modèles pivotants sur tourelle.

C’est un peu compliqué, mais une échelle est, très réellement, un matériel complexe et sensible.

Grâce aux sélections judicieuses qui ont guidé le choix des engins préservés, le Musée de Lyon-Rhône est la vitrine de ces techniques élaborées, longtemps fragiles et toujours complexes et chères, fruits de l’intelligence et du travail minutieux mis au service de ceux qui viennent au secours.

A Lyon toutes les échelles, les chariots et les tourelles racontent une belle histoire…

Merci à Jacques Périer, Alain Pras, Frédéric Pizzinato et toute l’équipe du musée de Lyon-Rhône.

ARTICLE PAR A. HORB (Novembre 2021)

Chef d’oeuvre d’équilibre et de maîtrise des matériaux, l’échelle pivotante manuelle Magirus sur chariot à quatre roues et traction hippomobile. (Carte postale du Musée des sapeurs-pompiers Lyon-Rhône)
L’échelle pivotante mécanique Magirus-Delahaye. Le châssis rigide du Delahaye type 89 dispense de vérins de stabilisation ! Les plans du parc sont encore en bois, les roues munies de bandages pleins. (Photo André Horb)
La tourelle de l’échelle pivotante Merryweather acquise en Angleterre juste après la Grande Guerre : le dressage est assuré par deux vérins à vis entraînés par le moteur du camion-support. Les renvois d’angle assurant la rotation des vis n’ont que des carters partiels et les engrenages sont visibles ! (Photo André Horb)
La tourelle électromécanique Steyaert laisse deviner sa masse ! C’est la traction du vérin central à vis qui assure le dressage, comme chez Magirus. Le treuil de développement est aussi électrique. Le 3ème essieu n’est que porteur et augmente la capacité de charge du châssis Matford. (Photo André Horb)
L’échelle remorquable que signe le lyonnais Vadot a ses armatures en bois. Une crémaillère assure et sécurise le dressage. (Photo André Horb)
Trois Magirus mécaniques et une Steyaert électrique. Les camions porteurs sont tous « à capot », deux Berliet – GLC et GLR pour la 45 mètres – le Matford et un Magirus venu en France pour une seconde carrière après sa réforme en Allemagne. (Photo André Horb)
L’échelle Metz-Laffly de Lyon alors que son parc est encore un « 30 mètres ». Après sa réparation grâce à un parc d’échelles d’occasion en 1970, elle ne sera plus qu’une « 26 mètres ». (Photographie Le Progrès)
Juste avant-guerre, le matériel de Défense passive est présenté au Maire Edouard Herriot, place Bellecour. Les trois échelles développées montrent « l’étagement » de ces agrès : 26 mètres pour la « Marry » de 1923, 24 m pour la Magirus-Delahaye métallique de 1932 et 30 pour la Metz-Laffly, qui conservera pour 30 ans seulement ses caractéristiques d’origine. (Photographie : fonds Jacques Périer)
L’échelle Drouville de 24 mètres et son tracteur Far à trois roues. L’ensemble présente l’allure d’un attelage semi-remorque. Mais à bien l’observer, on voit qu’en réalité, l’échelle est un modèle remorquable attelé par son crochet solidaire du chariot, au sommet d’une rehausse fixée au-dessus de l’essieu du tracteur. L’attelage défile en clôture du congrès fédéral de Mâcon en 1993. (Photo Alain Pras)
L’aboutissement de la restauration scientifique du fourgon-pompe Berliet CBA a été fêté à la mesure des efforts engagés pour respecter l’Histoire et ses techniques. Devant les remises de la caserne Corneille, la première et l’une des plus récentes échelles pivotantes des sapeurs-pompiers de Lyon témoignent d’un siècle d’évolution. (Photo André Horb)
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